Le nationalisme d'extrême droite





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Le nationalisme d'extrême droite



 Octobre 1973, le premier choc pétrolier met fin à presque trente ans de croyance naïve au progrès, on entre dans la rigueur et l’on atteint le premier million de chômeurs en novembre 1975. Après des années 70 difficiles, le Front National surprend pour la première fois avec son succès aux élections cantonales de mars 1982. Avec la crise désormais chronique malgré la succession des plans d’austérité, naît le sentiment qui ne fera que croître, que la nation est affaiblie au point d’en être menacée, il faut des coupables. Instinctivement les regards se braquent vers les étrangers, les immigrés y compris les français noirs et arabes perçus comme tels mais aussi vers l’Europe dont le pouvoir supplante progressivement celui de l’Etat. Le nationalisme d’extrême droite va s’imposer comme la nouvelle idéologie du combat à la place du communisme discrédité par la faillite de l’URSS (en 1973 le PCF déjà affaibli, était encore le premier parti de l’opposition devant le PS). Dès son élection à la présidence en 1974, Giscard d'Estaing crée un secrétariat d'État aux Travailleurs immigrés et entreprend une politique de lutte contre l’immigration dans le but de freiner l’augmentation du chômage. Le décret de 1977 qui suspend le regroupement familial pour les travailleurs immigrés non européens est annulé par le Conseil d’État, malgré ce contretemps les coupables sont officiellement désignés et l’entreprise de rejet des immigrés est bien engagée.
 Après-guerre le nationalisme d’extrême droite était tellement minoritaire qu’on ne le voyait pas, nous étions même persuadés qu’après le nazisme une telle idéologie n’était plus possible. Le nationalisme triomphant durant cette période était celui du général De Gaule qui après la cuisante défaite et l’occupation qui a suivi, voulait faire de la France l’égale des vainqueurs mais aussi lui donner son indépendance militaire et économique. Tout était à construire ou à reconstruire pour moderniser ce pays, la main d’œuvre manquait dans les usines, dans le bâtiment et les travaux publics, les immigrés devaient faire l’appoint. On recrutait dans les bleds d’Algérie des paysans auxquels on faisait miroiter la fortune. Mais, s’ils étaient les bienvenus pour les patrons, ils ne l’étaient pas pour tout le monde.
 Quand j’étais enfant les immigrés du coin étaient surtout des réfugiés Espagnols qui avaient fui Franco. On m’ordonnait de ne pas les fréquenter mais je le faisais quand même. Je reconnais que parmi ces amis-là il y avait de sacrés canailles tout comme d’ailleurs chez les Français, mais on ne parlait que d’eux. Dans cette période de soi-disant prospérité car elle n’était pas pour tout le monde, la xénophobie elle, allait bon train.
 C’est donc un nationalisme d’extrême droite qui a réapparu avec la crise. Il avait déjà sévi au siècle précédent attisant l’antisémitisme et provoquant notamment l’affaire Dreyfus. Ce nationalisme est caractéristique des périodes troubles. Pour le comprendre, il faut revenir au sentiment national. Chacun de nous a besoin par nature d’être d’une communauté, en bref il y est reconnu et y trouve une identité. La nation est une communauté particulière, celle d’un territoire administré par un état. Dans cette communauté-là nous cherchons bien plus qu’une identité. Le territoire doit être notre cocon, protégé derrière les frontières nous devons nous sentir en sécurité, chez nous à l’abri des étrangers, ennemis potentiels prêts à nous combattre et à nous envahir comme nous l’a appris l’histoire. Se sentir faisant partie d’une nation nous rassure, plus encore nous dynamise. Si en théorie la nation est une fiction, pour nous elle est carrément une abstraction, aucun sens ni même notre intelligence ne nous permet de l’appréhender et en conséquence nous avons besoin de tous ces repères souvent stupides qui la symbolisent. Se passionner ensemble pour la beauté d’un patrimoine que nous aimons tous, ne serait-ce que des chansonnettes, adorer les même idoles, participer ensemble à une fête ou une cérémonie, tous s’émouvoir après à un drame, tous manifester pour la même cause nous fait ressentir l’unité de notre peuple, la réalité de notre nation. La nation est une nécessité individuelle provoquée dans notre nature par l’instinct de territoire. Avoir un sentiment national est naturel et n’a donc rien de condamnable. Mais que notre société soit menacée par l’insécurité et chez certains ce sentiment va se transformer en nationalisme d’extrême droite. L’insécurité en question n’est pas due forcement aux bandits immigrés ou français étrangers d’origine qui pillent nos maisons et s’en prennent à des mémés sans défenses même si certains mettent toujours cela en avant, c’est simpliste et ça marche car s’il y a toujours des malfrats même en dehors des crises, pour prouver l’augmentation de leur nombre il suffit de gonfler des statistiques qu’aucun de nous ne peut vérifier par lui-même ou braquer les regards sur quelques faits sordides. Dans ce domaine on en juge selon son intérêt personnel. L’adhésion à cette idéologie est une affaire d’intérêts individuels très différents suivants les catégories sociales ou professionnelles. Des ouvriers qui trouvaient une protection dans le communisme, se sont tournés par défaut vers ce nationalisme. Leur insécurité réelle est la crainte souvent justifiée de perdre leur emploi à cause de la concurrence des Chinois et autres pays où la main-d’œuvre est bon marché, à cause aussi des investisseurs, souvent des fonds de pension, qui achètent des usines pour un profit immédiat maximum et pour cela réduisent les coûts en licenciant, évitent d’investir et quand l’entreprise est en difficulté, la ferment et vont en chercher une autre. Des paysans en général traditionnellement de droite, eux aussi se sentent menacés dans leur campagne où les services publics ont disparu car leurs exploitations risquent la faillite à cause certes de la rapacité des industriels de l’agro-alimentaire soumis à la concurrence mondiale mais aussi d’une politique européenne qu’ils vivent comme une tyrannie sous la pression des règles souvent inadaptées qu’elle impose et de la remise en cause permanente des aides qu’elle leur distribue en compensation. Pour ces deux catégories prises en exemple, la source de la peur est à l’étranger, la mondialisation et la communauté européenne en sont jugées responsables. Pour eux, face à ces ennemis qui mettent la nation en péril, l’Etat qui a ouvert les frontières n’a plus la capacité de les défendre, pire ils le soupçonnent de collaborer avec eux. L’idéologie d’extrême droite est leur meilleure perspective de salut et les partis qui en font la propagande sont heureux de les accueillir. Pourtant il y a aujourd’hui d’autres formes de nationalisme en France et d’autres sont sans doute à inventer. Le nationalisme n’est pas à condamner quand il ne propage pas des idées xénophobes voire racistes qui à terme ne font que déstabiliser encore plus notre société en réprimant des immigrés que matériellement et moralement nous ne pouvons pas empêcher de venir et qui par ailleurs ne sont pas responsables de nos malheurs ou en stigmatisant des Français noirs et arabes qui sont honnêtes même si parmi eux il y a une bien plus grande proportion de jeunes délinquants que dans les autres catégories sociales. Oubliés dans leurs quartiers sauf par les clients qu’ils approvisionnent en drogues, ces jeunes qui participent à toutes sortes de trafics, ne se connaissent même pas d’identité en dehors de leurs bandes, ils sont sans autre éducation que celle des sous-sols, sans autre formation professionnelle que le bisness où ils excellent et victimes de discriminations dès qu’ils sortent de chez eux, ce ne sont certes pas des saints mais s’il en est encore temps, pour les faire venir dans nos rangs il ne suffit pas de rénover leurs HLM, ni même de prôner la mixité, encore moins d’enfermer les récidivistes dans des prisons où des aînés leur forgent une vocation d’islamiste radical et de terroriste eux qui jusque-là n’avaient même pas ouvert le Coran de leurs pères si toutefois ils en ont un, et qui préféraient fréquenter les bistrots et les boîtes de nuit plutôt que les mosquées, il faut en priorité leur donner la motivation nécessaire et les moyens adéquats pour trouver un avenir plus prometteur que la délinquance ou le djihad suicidaire au Moyen-Orient. Il y a en effet d’autres formes de nationalisme, celui adopté par les ouvriers qui rachètent leurs entreprises en faillite pour en faire des coopératives plus aptes à s’adapter au contexte économique actuel parce que plus humaines et moins obsédées par le profit, et celui choisi par les paysans préférant les circuits de vente locaux pour ne plus être victimes de la cupidité des multinationales de l’agro-alimentaire et des chaînes de supermarchés qui les obligent à vendre à perte. Je considère que ces formes d’entreprises sont les germes d’un nouveau nationalisme car pour se maintenir et évoluer jusqu’à contribuer à créer une économie capable de contrer l’économie ultra-libérale, elles ont besoin de l’aide et du soutien de la nation ou pour le dire autrement elles doivent devenir des causes nationales et non demeurer des curiosités locales ignorées par les gouvernements.



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