Le patriotisme





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Le patriotisme


 Le sentiment national est affaire personnelle, il résulte en chacun de nous du besoin d’être protégé des périls venant de l’étranger et parce qu’il est un besoin il existe toujours dans le temps sans croître ni décroître quels que soient les évènements qui peuvent arriver et ceci dès la naissance d'une nation.
 Si le sentiment national est affaire de chacun, des individus peuvent former une collectivité adhérant à une idéologie et ainsi suivant le contexte se développent différents nationalismes plus ou moins adoptés par l’ensemble du peuple qui peuvent disparaître puis réapparaître en même temps que leurs causes. Toutes les politiques sont des nationalismes car elles se proposent toujours de gouverner dans l’intérêt de la nation contre les menaces étrangères ou plus exactement, elles veulent être perçues comme protégeant chaque citoyen de ces dangers quelle que soit sa condition sociale. Ceci dit le nationalisme étant une idéologie qui répond à des revendications populaires, n’est possible que dans une république car l’intérêt de l’Etat y est par convention celui d’un peuple qui participe au moins théoriquement au choix de la politique contrairement à la monarchie de l’Ancien Régime où le monarque gouverne par principe pour agrandir son territoire en faisant la guerre à ses voisins et nullement pour protéger un peuple réduit idéologiquement à la passivité et qui endure les ravages causés par ses ambitions.
 Le patriotisme est aussi une réaction collective. Elle se produit lorsque l’intégrité du  territoire est mise à mal par un pays étranger, donc en temps de guerre ou quand celle-ci menace. La patrie est étymologiquement la terre des ancêtres, c’est dire combien il est du devoir pour ses héritiers de la défendre. Quand apparaît le patriotisme l’instinct de territoire a atteint son paroxysme et c’est la quasi-totalité du peuple qui se dresse devant l’ennemi. L’histoire nous montre que bien avant que notre pays ne soit une nation de telles réactions se sont produites. Le sol gaulois est devenu gallo-romain puis franc et à chacun de ces changements l’envahisseur s’est heurté au patriotisme des autochtones. Pour y faire face il fallait donc, à chaque fois, qu’un acte exemplaire calme les réactions instinctives des locaux. Les Romains en intégrant l’élite des tribus gauloises dans leurs administrations ont évité leurs rébellions. De ce fait ils ont pu par la suite romaniser la Gaule en imposant leur politique et leur culture. Plus tard Clovis en se convertissant au catholicisme et en obligeant tous les Francs à faire comme lui, s’affirmait comme faisant partie d’un peuple dont il avait conquis le territoire. Par ce geste il justifiait son pouvoir et permettait à ce peuple chrétien d’origine gallo-romaine et wisigothe de se sentir unis avec les Francs qui les dominaient. Par la suite nul mieux que Jeanne d’Arc n’a su réveiller le patriotisme, c’est pourquoi elle est toujours aussi adorée par les groupes nationalistes d’extrême droite. Durant la guerre de Cent Ans, auréolée par la victoire à Orléans, elle s’est donnée pour mission de légitimer le pouvoir du futur Charles VII en le faisant couronner à Reims. Par cet acte elle a permis à la nation de retrouver son symbole royal et le sentiment patriotique de son peuple en a été décuplé. Jeanne d’Arc a ainsi créé les conditions de la victoire contre les Anglais.
 Les guerres débutent toujours dans un grand élan patriotique mais qui s’affaiblit dans la durée. Les poilus de 1914, convaincus de battre les Allemands en quelques semaines, sont montés joyeusement au front mais quelques mois plus tard l’atrocité des combats avait fortement entamé leur enthousiasme. Les trêves décrétées notamment pour ramasser les morts, furent même des occasions de fraterniser avec l’ennemi ; l’autre d’en face dans sa tranchée si proche et que l’on épie depuis des jours finit par devenir familier, il vit la même guerre, il endure les mêmes souffrances, il est pareil. Le patriotisme est mis entre parenthèse durant ces moments de compassion mais il réapparaît quand reprennent les combats ; l’autre reste l’ennemi qui a déclaré la guerre, celui qu’il faut chasser de sa terre. Le poilu est tiraillé par deux forces opposées, l’une provoquée par l’horreur d’une réalité imprévisible, l’autre par l’instinct de défense.
 Que dire du patriotisme pendant l’occupation allemande après la défaite de 1940 si rapide qu’il n’eut même pas le temps de s’exprimer ? Si le prestige de Jeanne d’Arc a galvanisé le peuple contre l’envahisseur, celui de Pétain a permis au contraire à une France vaincue et asservie de se dispenser de toute ardeur combattante. Entre la collaboration et la résistance la majorité a préféré la neutralité et se mettre sous la protection du Maréchal, le héros de Verdun, figure paternelle qui disait avoir fait don de sa personne à la France en acceptant le pouvoir, sacrifice symbolique grâce auquel la nation pouvait expier sa défaite et retrouver sa grandeur. Admettre l’autorité de ce prétendu grand patriote, c’était être patriote soi-même, l’honneur était sauf et sous son autorité bienveillante l’on pouvait ignorer la présence de l’occupant et la nécessité pour le gouvernement de collaborer avec lui, tolérer la politique antisémite et réactionnaire de Vichy. Après le désastre militaire, le peuple épuisé par les pénuries, terrorisé par la répression puis éprouvé par les bombardements des alliés, retrouva quasi unanimement sa dignité en idolâtrant ce patriarche au patriotisme dévoyé sans avoir à lutter contre un ennemi implacable et à en subir les représailles sanglantes. Il lui aurait peut-être fallu un meneur tel Bonaparte pour lui éviter de se réfugier passivement dans ce simulacre de patriotisme ; durant l’occupation De Gaule n’en n’avait pas encore l’envergure ou la position. Il y eut pourtant la résistance active et ceux qui l’ont soutenue.
 La mondialisation économique a des conséquences sociales désastreuses en France comme dans toute l’Europe. Le nombre de chômeurs ne cesse pas d’augmenter même si chez nous on le masque en créant des catégories qui sortent des statistiques des gens qui ne travaillent que quelques heures par mois ou en imposant des formations sans débouché. Ailleurs on affiche le quasi plein emploi mais on évite de publier le nombre de travailleurs pauvres, autre catégorie en pleine expansion. Il est de plus en plus évident qu’il faut initier une nouvelle économie à défaut de pouvoir réguler l’actuelle complètement à la merci des pouvoirs financiers. Pourtant aucun homme politique n’a l’audace de proposer cette voie, ils persistent au mieux à lutter contre cette mondialisation avec des idées d’un autre siècle. Pour cela ils font appel à notre patriotisme. L’abus de langage est au cœur de leurs propagandes car que je sache la mondialisation ne menace pas notre territoire mais nos portemonnaies. En vérité il s’agit de nationalismes mais comme ce mot est banni du langage politique, ils ne l’utilisent pas sauf ceux qui insultent les partis d’extrême droite lesquels l’évitent aussi pour ne pas donner raison à leurs adversaires. Détourner les mots de leur sens est la marque de leur impuissance ; faute d’arguments convaincants ils en sont réduits à exciter nos instincts, en l’occurrence l’instinct de territoire, car ils savent qu’ils trouveront toujours un large public qui y sera sensible. Une autre méthode sur laquelle il me faut encore revenir, spécialité de l’extrême droite, est de rendre les immigrés responsables de nos problèmes. Il est en effet plus facile de s’en prendre à une minorité que de construire une autre économie si toutefois ils y ont pensé. Ceux-là aussi font appel au patriotisme. Ils ont envahi notre territoire et veulent y prendre le pouvoir pour nous imposer une république islamique, ils sont partout, la patrie est en danger ! Pour remotiver les troupes on fait appel aux symboles historiques, surtout à Charles Martel qui arrêtât l’invasion arabe à Poitiers même si pour les historiens cette prétendue invasion n’était en fait qu’une razzia. On nous ressort la guerre de civilisation, la chrétienté épuisée menacée par l’islam belliqueux. Tout cela pour soi-disant chasser une minorité de musulmans qui pour la plupart sont français. Et encore une fois, ces nostalgiques de Pétain dépourvus d’idées nouvelles et du courage nécessaire pour les affronter, s’en remettent à un patriotisme pervers dont l’histoire nous a maintes fois prouvé le danger. Comme du temps de la guerre en Algérie, pour sauver la patrie devra-t-on encore recommencer les ratonnades ? Encore une fois on avilit un mot pour défendre une des pires causes.
 Pourtant, dans son vrai sens le mot patriotisme ne manquait pas de noblesse mais il était synonyme de guerre ; espérons donc ne plus avoir à le prononcer.




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