Le maître des rêves
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Le maître des rêves.
1936 le Front populaire et les congés payés,
c'était une autre révolution pour le peuple. Le top de départ était donné pour
la satisfaction des besoins d'exotisme. On allait enfin réellement voir ce que
l'on n'avait qu'aperçu dans les magazines ou au cinéma ou imaginé grâce aux
récits des voyageurs, profiter des bains de mer et de l'air pur des montagnes
réservés jusque-là à l’élite bourgeoise ou à quelques riches fossiles de
l’aristocratie. Après-guerre avec le
chemin de fer ce n'était pas commode mais ensuite avec l'automobile on pouvait
enfin partir librement avec la tente et les valises sur le toit. Ce n'était pas
encore bien confortable mais qu'il était bon ce sentiment de liberté
nouveau !
Mais depuis nous nous sommes aperçus que nous
étions devenus comme les gouttes d'eau qui forment les ruisseaux, les rivières
et les fleuves qui se jettent dans la mer. Nous avons appris qu'emportés par
nos penchants nous n'étions que des individus pris dans un flot programmé, des
individus qui forment une grande nation déprimée quand il pleut en été ou qu'il
ne neige pas en hiver. Comme nos anciens la météo nous obsède mais pour
d'autres raisons.
Si nous sommes libres ce n'est que de pouvoir
satisfaire certains de nos besoins ce qui n'est pas si mal, tant de gens dans
le monde pour des raisons diverses n'ayant pas cette possibilité. Car est-il
bien raisonnable de nous précipiter tous ou presque dans les mêmes lieux et à
la même date, de s'empêtrer systématiquement dans les habituels bouchons, de
s'entasser par milliers aux mêmes endroits ? C'est ça être libre ?
C'est comme si nous rêvions de ne pas l'être. Il y a de quoi se poser des
questions sur notre sens de la liberté. Mais peu importe si l'important est
d'en entretenir le sentiment pour continuer de profiter de nos plaisirs
saisonniers et contribuer même modestement à faire tourner le commerce. Ce
retour éphémère au Paradis, dont on rêve toute l’année, est après tout une
façon parmi d'autres de transcender nos vies trop ternes.
Car plus que jamais nous avons besoin de
rêver.
Ce monde qui nous promet pour bientôt des
robots surhumains, n’a pas fait de nous de simples mécaniques
programmables ; il a fait de nous des machines, certes, mais des machines
qui rêvent ! Et il se nourrit de nos rêves. Car il a compris, ce monde qui
nous emporte sans jamais savoir où il nous mène, sans autre perspective que son
bilan annuel, que les rêves sont les moteurs de l’espoir et qu’il se perpétuera
aussi longtemps qu’il les maitrisera. Et il excelle dans l’art de créer et de
satisfaire de nouveaux rêves, des
petits rêves modernes comme la plage en été et la neige en hiver, pour que,
quoiqu’il arrive, même le pire, nos attentes soient focalisées sur lui, et
qu’il reste toujours le meneur de son jeu.
Dans ce monde le rêve n’a plus d’ambition, il
ne tend que vers une distraction passagère qui revient cycliquement au rythme
des moments d’évasion qui nous sont accordés en attendant une retraite de plus en plus improbable pendant
laquelle, pourtant, on espère pouvoir enfin voyager plus loin.
Le rêve est même devenu un réflexe pour des
amateurs de sensations, une foule qui a besoin de se sentir encore vivante.
Mais ce rêve dont on ne peut plus se passer, ne s’est pas seulement imposé pour
que nous oublions l’absurdité de notre mode de vie, quoi de plus indispensable
que de s’en évader, mais pour masquer l’inhumanité de ce monde. Il n’est qu’un moyen pour
échapper inconsciemment à l’implacable logique de la cupidité qui nous
gouverne. Détourner notre conscience de notre réalité avec de telles tentations
afin de masquer son iniquité, telle est la stratégie de ce monde car c’est la condition nécessaire à
son fonctionnement.
En conséquence, ce maître, nous lui reprochons
infiniment moins ce qu’il est, que de ne pas assez nous donner.
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