La possibilité d'une nation européenne





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La possibilité d'une nation européenne


 Il convient de s’interroger sur les conditions qui permettent l’apparition du sentiment national. La France s’est formée par le rattachement au domaine royal réduit au XIIème siècle à l’Île-de-France et à l’Orléanais, de duchés et de comtés qui bien que vassaux du roi de France étaient indépendants. Le Languedoc, qui ne portait pas encore ce nom, formé de seigneuries dont le comte de Toulouse était le plus puissant, fut annexé par le roi de France à la suite de la croisade contre les Albigeois. Ces peuples qui avaient lutté contre l’armée de Simon de Montfort et qui par la suite se révoltèrent contre des impôts trop lourds, acceptèrent la domination des Français sans se rebeller. La révolte ne pouvait pas venir des nouveaux seigneurs qui étaient soit des anciens compagnons de Simon de Montfort soit des locaux qui avaient fait allégeance au roi de France, mais elle ne vint pas non plus du reste de la population. Une raison est que la domination française apportait paix et stabilité dans une région en guerre permanente qui opposait notamment le comte de Toulouse et le roi d’Aragon pour la possession du comté de Provence mais aussi des seigneurs moins puissants pour des bouts de territoire. La disparition de ces conflits permit l’essor économique de la région et le roi de France le favorisa d’autant plus qu’il lui permettait d’augmenter ses rentrées d’argent et ainsi de financer ses armées. Par ailleurs les rois respectèrent la culture du Languedoc, ses coutumes et sa langue. Ainsi ces peuples du pays de langue d’oc, nom qui leur fut donné par les Français et qui deviendra Languedoc, y trouvant leur intérêt acceptèrent cette nouvelle gouvernance. Le sentiment national n’existait sans doute pas encore mais les conditions de sa naissance étaient presque réunies. Il est probable qu’il soit né avec la guerre de Cent Ans auquel le Languedoc participa ; en luttant contre un ennemi commun les provinces du royaume ont eu conscience de former une nation. Par ailleurs le Languedoc en assumant la moitié de la rançon à payer aux Anglais pour la libération de Jean le Bon, avait déjà montré son attachement à la couronne de France.
 Certains rêvent d’une nation européenne et se demandent pourquoi celle-ci est si difficile à créer. La cause en serait que les peuples européens ont des cultures diverses, des langues différentes, des histoires particulières, en gros qu’ils n’auraient pas assez de points communs pour avoir le sentiment de constituer une même nation. Tout cela n’est que balivernes, le passé le montre, par exemple la formation de la nation française, le présent aussi, par exemple la Suisse, toutes ces différences n’entravent pas la formation de nations. En Belgique les tensions entre Flamands et Wallons menacent l’unité de ce pays, pourtant leurs différences ne les ont pas empêchées jusque-là de former une nation ; ce qui a changé est la situation économique de ces deux régions, au nord dans une Flandre plus prospère que la Wallonie qui elle a subi un déclin relatif, des mouvements nationalistes sont apparus qui font que ce pays devient une confédération. On peut constater que pour les mêmes raisons de tels nationalismes se développent en Italie du Nord ou encore en Catalogne ; dans les pays où se créent des déséquilibres économiques une partie des peuples des régions riches a l’impression d’entretenir ceux des régions plus pauvres à ses dépens et ne l’accepte pas. Sur le plan européen les déséquilibres entre pays sont encore plus violents. Pourquoi dans cette Europe qui se veut unie, la Grèce est-elle laissée à l’abandon ? Pour la raison simple que les états les plus fortunés refusent de l’aider financièrement car leurs peuples s’y opposent et ils s’inventent pour cela plein de bonnes raisons. Et le plombier polonais d’hier et les travailleurs détachés d’aujourd’hui ne font que renforcer un rejet historique de tout ce qui vient de l’Est, comme si recommençaient encore les invasions barbares du Moyen Age. Comment unir des peuples qui se considèrent comme des rivaux, pour ne pas dire des ennemis, dans la compétition économique ? L’impression domine que cette Europe fervente adepte du libéralisme, engoncée dans ses principes obsolètes n’a pas conscience des conséquences de la politique qu’elle impose. A voir ceux qui sont sensés la diriger, personnages au charisme d’évêque dont hormis les spécialistes personne ne retient les noms, il est bien difficile d’être enthousiaste. Nul ne sait ce qu’est son gouvernement sans visage, ni comment il fonctionne, ni même ce qu’il fait précisément ; ce que l’on voit bien c’est uniquement ce qu’il ne fait pas. Je suis convaincu qu’une grande majorité d’européens ressent le besoin d’une Europe ; face aux puissances chinoises et américaines aucun de nos pays ne peut rivaliser seul, aucun ne peut non plus contribuer à mettre fin seul aux guerres au Moyen Orient et en Afrique et aux actions terroristes qui en résultent et dont nous subissons les ravages, pas plus que de résoudre les problèmes planétaires qui provoquent le changement climatique. Mais une nation ne peut se constituer qu’autour d’un gouvernement jugé légitime et capable de les protéger par tous les peuples susceptibles de la constituer, ainsi les rois capétiens ont permis la formation de la nation française, la Prusse l’allemande et le royaume de Sardaigne l’italienne. Et, puisqu’il faut que tous les peuples européens aient des points communs pour que vive ce nouveau sentiment national, le jour où une vraie Europe sera possible, ils sauront s’en trouver.
 Je me souviens mais pas exactement quand, je crois au début des années 70, d’une compétition d’athlétisme opposant la sélection européenne à celle des Etats-Unis. Je l’avais suivie avec attention et en fervent supporteur devant la télévision j’encourageais indistinctement Français et Allemands, Anglais, Italiens ou autres, ceux qui étaient d’habitude nos adversaires étaient devenus les nôtres. Comme quoi il ne faut pas grand-chose pour se sentir européen, du moins le temps d’un week-end.




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