La nation
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La nation
Les hommes politiques ne manquent pas de
stratagèmes pour s’attirer des suffrages. Ils sortent un concept de leur
chapeau, surtout pas un concept nouveau mais un de ceux qui a déjà fait ses
preuves et qui convient bien pour satisfaire leurs ambitions, c’est-à-dire
celui qui représente le mieux les idées de ceux qu’ils veulent attirer vers
eux. Un grand homme politique n’est pas celui qui veut convaincre mais celui
qui prêche à des convaincus. En utilisant une palette de concepts bien
adaptés aux idées en vogue, il parvient à rallier à lui la quantité suffisante
de votants pour être élu.
L’identité nationale est un concept dont la
sonorité nationaliste donne l’impression qu’il est ancien mais il n’est apparu
que dans les années 1980, à un moment où le Front National s’est affirmé avec
ses slogans provocateurs sur l’immigration et l’insécurité traduisant une perte
de confiance d’une partie des français en la capacité de leur pays de les
protéger d’une crise qui s’est amplifiée depuis.
Ainsi un pan de la droite pour récupérer
l’électorat de l’extrême droite a encore
relancé le thème de l’identité nationale. Bien sûr elle s’est toujours gardé
d’en donner une définition et elle présupposait même qu’il avait une réalité ce
qui à priori n’a rien d’évident. Ce faisant, cette droite reprenait sans le
savoir une idée bien plus ancienne : le sentiment national qui fit débat à
la fin du XVIIIème siècle puis au XIXème siècle, période charnière qui vit la
naissance des états modernes.
***
Selon son sens étymologique, la nation est un
ensemble d'êtres humains nés sur un même territoire. Ce peuple n’est pas, pour
autant, composé d’individus identiques et toutes sortes de différences sont
possibles entre eux : sociales, culturelles, religieuses, linguistiques…
qui entrainent forcement des rivalités voire des conflits. Par ailleurs, la
population contient toujours des étrangers qui sont venus sur son territoire
pour travailler, pour s’y réfugier ou encore pour le conquérir. Il y a aussi
des minorités de gens qui sont nés dans un pays mais y sont perçus par la
majorité comme des étrangers comme l’ont toujours été les Juifs et les
Tziganes. En raison de ces présences la nation ne coïncide pas avec la réalité
que nous percevons. De plus elle est aussi vaste que variée et nous ne pouvons
pas l’appréhender avec nos sens. En conséquence elle est pour chacun de nous
une fiction. Mais ce qui importe pour un peuple n’est pas que la nation soit
réelle mais qu’il en soit persuadé autrement dit qu’il ait un sentiment
national. Alors il se sent uni contre les menaces externes.
Sous l’Ancien Régime, soit du XIVème siècle
environ jusqu’à la fin du XVIIIème siècle l’unité de notre pays était assurée
par la légitimité du roi et de l’aristocratie et l’adhésion quasi exclusive du
peuple au catholicisme et ceci malgré les différences linguistiques,
culturelles et de coutumes entre les habitants des différentes provinces et
leur éloignement du pouvoir royal du fait des difficultés de communication. Le
roi issu d’une noblesse catholique présente sur le sol français depuis Clovis
et déclaré de droit divin, était le symbole qui entretenait le sentiment
national. En affichant son faste, par exemple en construisant des palais
grandioses, il matérialisait la puissance de la nation et il satisfaisait le
sentiment national d’autant que son prestige en était agrandi ; en
même temps il faisait accepter son pouvoir absolu. Par ailleurs la nation forte
de cette apparence impressionnait les pays voisins et elle pensait être
protégée de la sorte d’ennemis potentiels,
elle se croyait invincible. Ainsi le Roi Soleil a rayonné sur un territoire
vaste et disparate et au-delà de l’Europe. En résumé, au temps de la monarchie
le roi et le sentiment national dépendent l’un de l’autre, un grand roi
contente le sentiment national et réciproquement si le peuple a l’impression
que sa nation est forte, le pouvoir du roi en est augmenté.
Mais à partir du XVIIIème siècle cette
relative harmonie est ébranlée par l’apparition d’une nouvelle idéologie et par
la brusque transformation de l’économie causée par la révolution industrielle.
La philosophie des Lumières a imposé l’idée du peuple souverain et les concepts
démocratiques de liberté, d’égalité, fondés sur la croyance au pouvoir de la
raison humaine. Les Lumières remettent en cause le pouvoir absolu des monarques
et veulent les obliger à gouverner en respectant les droits des peuples ;
en conséquence au XIXème siècle dans les pays où la république n’a pas pu
s’établir, ceux-ci devront s’affirmer comme leurs représentants. La révolution
industrielle a entraîné la migration d’une partie des paysans fuyant la misère
des campagnes, vers les villes et la création d’une nouvelle et massive classe
ouvrière à la disposition de la nouvelle bourgeoisie capitaliste qui elle a pu
saisir les opportunités fournies par les progrès de la technologie. Le
mouvement communiste promeut l’internationalisation du combat pour la cause des
prolétaires en proclamant l’union internationale des travailleurs (Manifeste du
parti communiste de Marx et Engels), mouvement qui en dépassant ainsi le cadre
des nations veut détruire le sentiment national qui selon eux masque les fortes
inégalités créées par le capitalisme entre les classes sociales. Face à ces
changements qui les inquiètent car ils déstabilisent les sociétés, une partie
du peuple recours aux nationalismes extrêmes, rejetant ceux qui sont considérés
comme étrangers et renforçant donc l’antisémitisme. Pas étonnant que la fin du
XIXème siècle soit marquée par le boulangisme puis l’affaire Dreyfus.
L’historienne Anne-Marie Thiesse dans son
livre La Création des identités nationales
Europe, XVIIIe-XXe siècle, reprend le terme d’identités nationales en
nous précisant que pour elle il s’agit de fictions et expose comment celles-ci
se sont formées dans toute l’Europe et ont toujours selon elle, donné naissance
aux nations modernes.
Elle nous montre qu’à travers l’Europe un
catalogue d’attributs s’est constitué que les pays ont adapté à leur histoire
et à leur culture. Pour ce faire dans chacun d’eux des groupes de recherche se
sont mis à l’œuvre, reprenant à leur compte les meilleures trouvailles des
autres et grâce à ces échanges continuels une liste s’est constituée que tous
ont adoptée. Elle comprend une histoire, des héros, une langue, des monuments
historiques, un folklore, des paysages, une mentalité, des représentations
officielles : hymne et drapeau, un costume, une gastronomie, des emblèmes.
La nation a trouvé une identité mais le travail n’est pas terminé car il faut
que le peuple la connaisse, on va lui enseigner. Livres, revues, journaux,
peintures et gravures sont largement diffusés avec succès, des expositions sont
organisées dont les expositions universelles qui attirent des foules, des
musées sont créés. L’école est aussi mise à contribution, elle fait découvrir
ces nouveautés aux enfants mais ce n’est pas sa mission principale, elle doit
imposer le français. La France des XVIIIème et XIXème siècle est une mosaïque
culturelle, chaque province a sa langue, à l’intérieur de chacune chaque région
a son dialecte. Pour mieux obliger l’usage du français on interdit d’enseigner
tous ces parlers et de les pratiquer dans les écoles. Le fait d’imposer une
langue unique à tous les Français avait aussi d’autres intérêts pour l’État
centralisateur, il rendait la communication plus simple entre lui et les
provinces, il permettait aussi un meilleur contrôle du peuple. Sur ce point,
l’intérêt de l’État concorde avec la nécessité d’inventer des identités
nationales.
Selon Anne-Marie Thiesse, c’est une nouvelle
conception de la nation qui a été créé et a été imposée au peuple. La nation ne
serait que ce que l’élite veux qu’elle soit. Y aurait-il des nations anciennes
avant le XVIIIème siècle et des nations modernes après ? La nation
serait-elle une abstraction qui se détruit et se reconstruit en fonction des
aléas de l’histoire ?
La nation a une définition précise, établie dès
l’Antiquité et immuable. Comme dit précédemment c’est une fiction mais qui
répond à un besoin instinctif humain universel, celui d’appartenir à la
communauté des gens qui sont nés sur le même territoire que soi. Par instinct
nous sommes ensemble propriétaires du sol où nous sommes nés, nous sommes chez
nous ! Il n’y a pas de jugement moral à faire sur ce point, il ne décrit
qu’une réalité universelle,
ce que nous ressentons. Mais pour que la nation soit vécue comme une réalité,
il lui faut des attributs reconnus, admis et partagés par tous ses membres, le
peuple a alors la conviction d’être uni. Pour être concret prenons l’exemple du
drapeau, chaque nation a le sien et chacun de ses membres le reconnaît pour
sien, en partageant sa propriété les membres d’une nation se sentent unis car
le drapeau symbolise le territoire et avoir le même drapeau c’est être de la
même nation. Avant les drapeaux actuels il y avait des armoiries et elles
avaient le même rôle.
La France était au XIXème siècle la référence
pour tous les peuples européens ; quand ça bougeait à Paris l’onde de choc
traversait le continent. Déjà en 1830 le renversement de Charles X entraîna des
révoltes en Allemagne, en Italie, en Belgique et en Pologne. En 1848, c’est
Louis-Philippe qui tomba à son tour et sa chute provoqua un mouvement de
révolte en Europe appelé le Printemps des peuples. En Allemagne et en Italie
les peuples aspirèrent à l’unité nationale. Dans d’autres régions dominées par
les puissances de l’époque (Autriche, Prusse, Russie et Empire Ottoman), les
Hongrois, les Polonais, les Roumains, les Serbes s’insurgèrent pour former des
nations indépendantes. Toutes ces révoltes seront des échecs car violemment
réprimées mais elles étaient au début d’un processus qui conduira à la
formation du royaume d’Italie en 1861 et du Reichstag en 1871.
Quand au XIXème siècle ces sentiments
nationaux se sont révélés en Europe, il fallait pour matérialiser ces futures
nations, leur trouver des attributs. Ce ne pouvait plus être les monarques et
leurs représentations. Des intellectuels ont choisi une série de thèmes
unificateurs et les ont proposés. Ils n’ont rien imposé car les peuples
n’auraient pas accepté des symboles qu’ils ne reconnaissaient pas. Étant
eux-mêmes du peuple, ils sentaient ce qui pouvait convenir et puis comme déjà
dit, ils profitaient des essais faits dans les pays voisins. Ces thèmes ont
donc été bien perçus et sont devenus les attributs des nations en devenir.
En France il n’y a plus de roi et s’il est
encore là, il n’est plus au-dessus du peuple. Le symbole de la nation a
disparu, le sentiment national est toujours vivant mais il doit trouver de
nouveaux repères. La Révolution, ses guerres puis l’aventure napoléonienne ont
provisoirement plus ou moins uni le peuple français mais ensuite l’instabilité
politique est telle qu’aucune autorité ne peut servir de référence. En
conséquence, comme partout en Europe, les nouveaux thèmes ont été adoptés.
D’autant plus que dans cette période où se succèdent renversements de régimes,
crises économiques, épidémies et guerres, le recours aux traditions et au
patrimoine apportait de la stabilité et rassurait en donnant l’impression d’une
France éternelle capable de faire face à tous ces violents évènements dus à une
évolution perçue comme incontrôlable.
Sur ce point je partage le point de vue d ’Anne-Marie Thiesse.
Mais contrairement à ce qu’elle nous dit, ni
une identité nationale même fictive, ni une nation moderne n’ont été créées
mais ce sont les attributs d’une nation existante qui ont été actualisés.
Quant à savoir quand la nation française est
née, sous l’Ancien Régime la noblesse situait cette naissance à Clovis soit à
l’origine revendiquée par eux de l’aristocratie, après la Révolution la
République l’a fait remonter au temps des Gaulois considérés comme nos ancêtres
mais ces choix sont arbitraires et la réalité est autre, les historiens
semblent s’accorder pour placer l’apparition du sentiment national en France à
la fin du Moyen Age après la guerre de Cent Ans.
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