Le racisme, une histoire « trop humaine »
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Le
racisme, une histoire « trop humaine ».
Il est des aspects de la nature humaine qui me
donnent envie de vomir. Certes, vous me direz que si nous ne sommes que des
êtres instinctifs, comme je le prétends, il n’est pas étonnant que nous nous
laissions emporter par des passions perverses. Oui, tout n’est peut-être que
passions en nous y compris ce que nous pensons être raisonnable, mais pourquoi
faut-il que cela nous mène si souvent vers l’horreur ? Après tout pourquoi
faut-il que les pires inclinations l’emportent à ce point sur les
meilleures ? Pourquoi le racisme ?
On reconnaît le raciste à son obsession de la
propreté. Son ennemi c’est la racaille, la vermine, les parasites. Il efface du
paysage tout ce qui, pour lui, le souille : les clochards, les ivrognes,
les marginaux en premier et puis… peut-on savoir par avance jusqu’où le mènera
son besoin de nettoyer ? Nettoyer c’est sa façon de mettre de l’ordre. Il
procède toujours par élimination. Chez lui un instinct s’est tellement
hypertrophié que la moindre présence d’un corps étranger sur son territoire, il
la vit comme une atteinte à sa pureté. Tout ce qui n’est pas de chez lui est
sale. Le youpin, le bougnoule, le nègre par exemple, c’est plus fort que lui,
il ne peut pas les voir. C’est épidermique. Au fond il a peur des étrangers
comme d’autres ont peur des araignées ou des serpents. Cette peur a en effet
tous les symptômes d’une phobie : la xénophobie. Le racisme en est la
forme la plus viscérale et la plus vulgaire.
Dans l’Antiquité la présence des étrangers ne
posait pas de problèmes esthétiques. L’étranger faisait partie du décor. Il y
était parfaitement intégré et ne nuisait pas à son harmonie mais au contraire y
participait pleinement. Athènes était un bel exemple de cohabitation à
l’ancienne. La démocratie n’y concernait qu’une élite minoritaire composée des
hommes nés de parents athéniens : les citoyens. Les femmes athéniennes en
étaient exclues. Parmi les étrangers les métèques étaient considérés comme
libres et pouvaient exercer un métier pour leur propre compte. Les autres
étaient les esclaves, soit du tiers à la moitié de la population de la cité
selon les estimations des historiens. La société athénienne était foncièrement
inégalitaire. A l’époque personne ne s’en offusquait.
Ou presque car de tout temps certains se sont
senti obligés de justifier l’esclavage ! Le sentiment de culpabilité n’a
jamais été complètement étouffé par la culture élitiste. Ainsi à l’époque
archaïque de la Grèce, l’esclavage était considéré comme une conséquence
logique de la guerre. Il était plus noble (et aussi plus utile), d’asservir les
vaincus (et d’en rançonner les plus riches) que de les massacrer. A son époque
classique l’esclave est surtout une marchandise. Dans sa Politique Aristote
consacre un chapitre à l’esclavage pour
s’opposer à l’opinion de certains juristes qui considèrent qu’il est inique car
produit par la violence de la loi. Sa thèse peut se résumer par cette
citation : « C'est la nature qui, par des vues de conservation, a
créé certains êtres pour commander, et d'autres pour obéir ». Le maître
est doué de raison, l’esclave, même si on lui reconnaît avoir une âme, à pour
première vertu son aptitude à servir et l’esclavage est dans l’intérêt de deux
partis qui se complètent. Comme tous les Grecs de l’Antiquité, Aristote
considère que le rôle de tout citoyen est, par devoir et non par dégoût des
tâches subalternes comme on pourrait le penser aujourd’hui, de se consacrer à
la politique, aux arts et à la philosophie et c’est pour préserver ce statut
selon lui indispensable au bon fonctionnement de la cité, qu’il juge
l’esclavage nécessaire.
Dans l’Athènes antique l’étranger était un
être humain inférieur que l’on utilisait souvent comme esclave, que l’on
pouvait mépriser et corriger, mais le maltraiter était condamné et le coupable
risquait l’exil ; non pour avoir dégradé un bien mais parce que l’auteur
d’un tel acte était indigne de la citoyenneté. Un citoyen devait être au-dessus
d’un tel acte. En matière de mœurs comme dans les disciplines plastiques, les
élites athéniennes avaient le souci esthétique de la mesure ; c’était là
leur noblesse.
L’histoire de la xénophobie en Occident après
l’Antiquité est une irrémédiable progression vers ce que l’humanité a connu de
pire. Elle commence dès le Moyen Age et se prolongera jusqu’à ce qui la mènera
à l’apogée de son horreur au XXème siècle: le nazisme. Si toutefois il est
possible de mesurer l’horreur.
Dès son origine le christianisme pour s’imposer
devait affronter le judaïsme et cela ne pouvait pas se limiter à des
chamailleries doctrinales. Saint-Augustin fut celui qui a le mieux défini la
stratégie de ce combat pour la suprématie religieuse. Il ne s’agissait pas
d’éliminer un adversaire que l’on ne parvenait pas à convertir mais de le
rabaisser, de le discriminer. Il fallait d’abord un prétexte ; pour cela
Saint-Augustin a repris l’accusation de « déicisme » déjà exprimée
par les Pères de l’Église selon laquelle les Juifs étant responsables de la
mort du Christ, Dieu les en a puni en les dispersant pour que leur présence
rappelle partout et éternellement leur crime. Comme s’il s’agissait de se
protéger d’une contagion, l’Eglise interdisait toute relation sociale entre
Chrétiens et Juifs et surtout les mariages entre membres des deux communautés.
Malgré cela certaines de ses ouailles, peut-être à cause d’un sens immodéré de
leur devoir de chrétien, continuèrent à fraterniser avec des Juifs. Après tout
la confusion étant possible, pour y remédier le concile de Latran de 1215
décida que les Juifs et les Sarrasins porteraient des vêtements différents de
ceux des Chrétiens. En 1269 Saint-Louis imposa aux Juifs le port de la rouelle,
insigne en forme de roue, une cousue sur la poitrine et une autre dans le dos.
Par ailleurs, le concile de Latran leur interdit de sortir de chez eux pendant
la Semaine Sainte, mesure qui fut aussi reprise par Saint-Louis.
Intolérante du fait de sa prétention à
l’universalité, l’Église ne pouvait que procéder à la ségrégation des Juifs, en
conséquence pour ne pas être trop en contradiction avec ses principes moraux,
elle se faisait aussi un devoir de les protéger en tant que communauté
minoritaire. Cependant, elle ne les exposait pas moins à la vindicte populaire.
Elle fut plus radicale à l’égard de l’hérésie cathare contre laquelle elle
lança la croisade contre les Albigeois, puis l’inquisition pour achever le
travail d’éradication.
Durant le Moyen Âge, période où les nations
n’existaient pas encore, il est difficile de savoir qui était étranger. On
s’identifiait comme appartenant à une ville ou à une seigneurie mais d’abord,
sans doute, comme chrétien. Ainsi les étrangers étaient surtout les non
chrétiens et en particulier les Juifs. Si l’antijudaïsme de l’Église eut pour conséquence
leur discrimination, la xénophobie populaire provoqua des massacres. Ils
commencèrent surtout en 1096, avec la première croisade et se poursuivirent
avec les suivantes. Chaque croisade de l’élite chevaleresque fut accompagnée
par une croisade populaire officieuse, constituée de meutes fanatiques qui
avant d’affronter les Musulmans en Terre Sainte, ne se privèrent pas de
trucider les Juifs qu’elles trouvèrent sur leur chemin. Puis vinrent les
accusations de meurtres rituels, d’empoisonnement de l’eau ou encore celle
d’avoir provoqué l’épidémie de peste en 1348, qui provoquèrent autant de
pogroms.
Contrairement au christianisme qui
théoriquement condamnait tout enrichissement, le judaïsme l’encourageait de
sorte que les Juifs ont contribué grandement à l’essor économique de l’Occident
au début du Moyen Âge. Mais durant le Haut Moyen Âge, ils perdirent le droit
d’exercer tout métier public et celui de posséder une terre et durent se
cantonner au commerce et aux activités bancaires. Certains d’entre eux
pratiquèrent donc le prêt à usure, par ailleurs interdit aux Chrétiens, en
servant souvent d’intermédiaires entre les nobles et les pauvres. Cette
activité peu lucrative a fourni aux Chrétiens, s’il en était besoin, une raison
supplémentaire de les haïr et leur a donné une réputation d’avaricieux qui
perdure encore aujourd’hui.
Les princes, et en particulier les rois de
France, ne voyaient dans la présence sur leurs terres d’une communauté juive
que le profit qu’ils pouvaient en tirer et selon leurs intérêts toléraient leur
présence en contrepartie de lourds impôts ou les en expulsaient pour confisquer
leurs biens puis les autorisaient à revenir contre paiements. Ainsi agirent
Philippe Auguste, Saint-Louis, Philippe le Bel, Louis X ou encore Charles VI.
On ne peut pas achever ce tableau noir de
l’antisémitisme au Moyen Âge, sans y évoquer l’apparition des ghettos,
quartiers réservés aux Juifs dans lesquels ils ont été incités à habiter avant
qu’on ne les y oblige au XVIème siècle. C’est à Venise qu’ils furent d’abord
instaurés, avant d’être imposés dans les Etats pontificaux. L’Église avait
enfin trouvé son moyen de discrimination le plus efficace.
L’antisémitisme au Moyen Âge,
c’était l’expression de l’intolérance religieuse, de la xénophobie populaire et
de l’ambition royale.
L’esclavage avait disparu de l’Europe du Moyen
Age. Dans cette communauté essentiellement chrétienne il n’était pas acceptable
qu’un chrétien soit propriété d’un autre chrétien d’autant que l’organisation
féodale permettait un nouveau mode d’assujettissement qui ne heurtait pas les
consciences : le servage.
La situation n’est plus la même à partir de la
Renaissance. Des nations se sont formées et se tournent vers les terres
nouvellement découvertes en Amérique, chacune avec la volonté de s’y enrichir
et d’affermir ainsi sa puissance. Portugais et Espagnols puis Anglais, Français
et Néerlandais se lancèrent à la conquête des colonies d’Amérique. Mais dès le
début l’exploitation économique de ces territoires est freinée par le manque de
main d’œuvre. Décimés par les maladies apportées par les Européens plus que par
les massacres perpétrés par les conquistadors, les Amérindiens ne sont plus
assez nombreux pour assurer le travail d’où le recours à la traite négrière.
La traite négrière se pratiquait en Afrique
depuis l’Antiquité et les Musulmans qui eux aussi interdisaient l’esclavage de
leur coreligionnaires, profitaient de ce marché d’esclaves au moment où les
Européens vinrent à leur tour s’y approvisionner. Certains peuples africains
n’étaient pas d’ailleurs seulement pourvoyeurs d’esclaves mais aussi
esclavagistes eux-mêmes. Ceci dit seulement pour montrer que le commerce
d’êtres humains n’était pas l’exclusivité des Européens.
Dès leurs premières découvertes l’Église
confirma les Portugais dans leur droit de conquérir les nouvelles terres y
voyant l’opportunité d’agrandir le monde chrétien. Bien qu’ayant interdit
l’esclavage des Amérindiens, elle autorisa l’asservissement des noirs mais,
fidèle à sa mission évangéliste, en les convertissant au christianisme elle
prétendit aussi sauver leurs âmes. Dans sa version catholique, l’esclavage
n’était qu’un mal pour un bien. Ce n’est qu’au XIXème siècle que Grégoire XVI
fut le premier pape à le condamner clairement. En fait, affaiblie par la
concurrence du protestantisme et de l’anglicanisme et surtout par des
monarchies suffisamment puissantes pour se dégager de son autorité, l’église
catholique ne put qu’accompagner une politique coloniale sur laquelle elle
n’avait plus d’emprise.
Car ce sont bien les nations qui furent les
grandes responsables de cette abomination et surtout leurs monarques. Jusqu’au
XVIIème siècle, Espagnols et Portugais initiateurs de la traite négrière en
Occident la jouèrent petit bras mais lorsque les Anglais et les Français
prirent ce commerce en main pour s’en assurer le monopole, il changea
d’échelle. Louis XIV à partir de 1674 fit des Antilles des colonies rattachées
au royaume de France et spécialisées dans la production sucrière mais la
culture de la canne à sucre nécessitant beaucoup de main d’œuvre il lui fallut
développer en conséquence la traite négrière et s’engager dans le commerce
triangulaire. En 1685, à sa demande, Colbert rédigea le Code noir afin de
contrôler l’esclavage dans ces territoires français. Ce texte comportait une
série d’articles qui donnaient un statut juridique à l’esclavage en fixant les
droits et les devoirs du maître sur ses esclaves et de ce fait le légalisait
dans cette partie du royaume.
Il serait caricatural de penser que les esclavagistes
ou même l’autorité royale qui tirait profit de leurs activités, considéraient
que les esclaves noirs n’étaient pas des êtres humains. Ce serait non seulement
se tromper sur la nature de l’esclavage mais pire en atténuer l’horreur. Le
Code noir nous le prouve. Que les noirs y soient qualifiés de biens meubles
n’en fait pas des objets mais décrète que des êtres humains, comme des objets,
pouvaient être vendus et achetés de même que ce texte autorise de les punir, de
les mutiler, de les condamner à mort tout comme de les affranchir. Que l’on y
fasse obligation de les nourrir et de leur fournir des vêtements sous-entend
même que certains propriétaires les traitaient moins bien que du bétail. Mais
que l’on y réglemente les concubinages entre hommes ou femmes libres et
esclaves et plus encore que l’on y oblige ces derniers à se convertir au
christianisme nous montre que selon le rédacteur du Code noir les noirs étaient
bien des êtres ayant un sexe et une âme. Oui ! Les esclavagistes avaient bien
conscience d’asservir des êtres humains. En conséquence, il ne suffisait pas
que l’esclavage soit profitable à l’exploitation des colonies d’Amérique pour
qu’il y soit possible, il fallait aussi qu’il y soit moralement acceptable
alors qu’il ne l’était plus en Europe. Il fallait donc au préalable que les
noirs soient considérés comme des humains inférieurs. Ils étaient, en effet, de
façon évidente pour ces Européens esclavagistes plus que des étrangers mais des
habitants de la forêt, des sauvages, pas seulement des païens mais des non
civilisés, des êtres à la limite de l’animalité sur l’échelle des espèces
vivantes d’où l’importance de les christianiser pour se donner bonne conscience
et mieux les contrôler.
Au milieu du XIXème siècle la traite négrière
et l’esclavage étaient abolis par toutes les nations européennes. C’était, nous
dit-on, la victoire des idées des Lumières. Mais à supposer qu’elle ait été le
seul argument des abolitionnistes, la morale humaniste serait-elle enfin venue
à bout d’un mauvais penchant qui depuis l’Antiquité avait permis de massacrer,
d’asservir et de discriminer tant de peuples ? Pas vraiment car plus
vigoureux que jamais, celui-là s’est aussitôt mis au service de nouvelles
causes.
En 1853 paraissait la première partie de
l’Essai sur l'inégalité des races humaines d’Arthur de Gobineau. Cet écrivain
était avant tout nostalgique d’un temps originel inventé par lui en s’inspirant
de la théorie polygéniste, durant lequel, selon lui, il n’aurait existé que
trois races pures : la noire, la jaune et la blanche. La race blanche, qui
avait « le monopole de la beauté, de l'intelligence et de la force »,
était bien sûr, selon sa thèse, supérieure aux races jaune et noire dont je ne
rapporterai même pas les insultantes descriptions qu’il en a faites. De par son
génie naturel, la race blanche, seule capable de produire des civilisations,
était vouée à la conquête du monde et par conséquent à aller au contact des
races inférieures ; elle s’y est ainsi diluée et a engendré des peuples
métis qui ont produit après de longues séries de nouveaux métissages une
humanité qui sombre désormais dans la déchéance. Empreint d’une aversion
atavique pour les idées républicaines, ce mélancolique vivait avec l’illusion
d’être l’héritier d’une aristocratie dont il disait pourtant qu’elle avait
depuis longtemps disparu et pour justifier son dégoût de son époque il a créé
cette théorie raciale, pour ne pas dire raciste, fondée essentiellement sur
l’analyse de l’Histoire vue comme un processus de décomposition menant fatalement
à la démocratie. Mais, contrairement à ce que feront après lui les nazis, il ne
proposait pas de solutions pour enrayer ce déclin car il était convaincu que la
mort de toute civilisation est inéluctable. Faire de cet auteur aigri un
précurseur du nazisme, est une erreur ; il n’était que l’un des nombreux
symptômes du délire qui y conduira.
Si la notion de race humaine fut élaborée par
les naturalistes du XVIIIème siècle Buffon et Linné, sciences à l’appui, le
XIXème siècle fut le démoniaque théoricien de ce que l’on nommera plus tard le
racisme. Après la condamnation et l’abolition de l’esclavage, l’élite
colonisatrice politique et intellectuelle ne pouvait plus se contenter de
l’évidence de l’affirmation de la supériorité de la civilisation blanche et
chrétienne pour justifier son désir d’empire en Afrique et en Asie, il fallait
qu’elle s’en donne des preuves et justement les théories raciales développées
par Buffon et Linné renforçaient sa conviction. L’anthropométrie apporta sa
contribution en tentant de le démontrer par l’étude des caractères physiques
propres à chaque peuple tels, par exemple, la forme du crâne ou l’angle facial.
Plus encore cette science se donnait pour objet de différencier les races et de
mieux les connaître afin d’améliorer celles que l’on voulait coloniser dans le
but non avoué de les contrôler et de les exploiter. Pour les colonisateurs qui
en avaient besoin, les sciences apportaient de quoi se décomplexer. Ainsi, le
républicain Jules Ferry, en juillet 1885, pouvait lancer à l’Assemblée face
à Clémenceau, républicain lui-aussi mais radical et anticolonialiste: « Je
répète qu'il y a pour les races supérieures un droit, parce qu'il y a un devoir
pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures. » Il
fallait aussi convaincre le peuple des bienfaits de la colonisation et pour
cela on apprenait aux enfants dans les manuels scolaires les différentes races
humaines en mettant bien en évidence la supériorité des blancs et l’on
organisait des expositions où l’on exhibait des noirs ramenés pour l’occasion,
dans des villages africains reconstitués, quand ce n’était pas simplement dans
des cages, spectacles qui attiraient des foules de gens curieux de savoir
comment étaient les sauvages, notamment lors de l’Exposition Universelle de
Paris de 1889, celle pour laquelle fut construite la tour Eiffel.
Il y eu aussi, en cette fin du XIXème siècle,
la naissance d’une autre science qui ambitionna cette fois de purifier la race
blanche : l’eugénisme. Son fondateur, l’anglais Galton, considérait que la
théorie de l’évolution de son cousin Darwin ne s’appliquait pas aux sociétés
modernes où du fait des progrès des sciences et des technologies, les plus
faibles n’étaient plus éliminés naturellement. Ainsi se développait une masse
de prolétaires et avec elle des fléaux tels que la criminalité, l’alcoolisme,
les maladies mentales … tares considérées par les eugénistes comme héréditaires
qui non seulement par leurs effets troublaient l’ordre social mais entraînaient
aussi la dégénérescence de la race blanche. En fait l’élite conservatrice
anglaise du XIXème siècle à la pointe en matière de discrimination, refusait
l’accès à l’éducation à des prolétaires dont elle avait besoin pour sa
révolution industrielle mais qui, une fois instruits, pourraient menacer son
statut et ses privilèges. L’eugénisme qui se proposait d’apporter des solutions
médicales à ce danger ethnique ne pouvait que séduire ces adeptes du racisme
social.
Au XXème siècle, l’impensable : le
nazisme. Impensable que l’on ait pu sciemment, bureaucratiquement,
scientifiquement, entreprendre d’exterminer les peuples juifs et tziganes parce
qu’ils étaient une menace pour la pureté de la race aryenne, de traquer les
homosexuels et d’euthanasier les malades mentaux parce qu’ils n’étaient pas
conformes à l’idéal aryen, d’éliminer les communistes et des intellectuels
parce qu’ils s’opposaient au projet nazis; impensable que cela se soit passé
dans le pays de JS Bach, pays qui a fourni quelques-uns des penseurs les plus
importants de l’histoire européenne. Peut-être a-t-il manqué à l’Occident de ne
pas avoir écrit la Bible ou l’Iliade et l’Odyssée. Aussi brillante qu’elle nous
paraisse, notre civilisation n’a toujours pas écrit le livre de référence
nécessaire pour guider ses générations et mettre une limite à la folie humaine.
On a cru ensuite en avoir fini avec le racisme
comme si Hitler l’avait entraîné avec lui à jamais dans sa mort. Il se peut
aussi que notre peuple libéré du nazisme n’aurait pas pu savourer son triomphe
sans cette amnésie. Du moins en Europe on a cru à la disparition du racisme en
oubliant que la ségrégation et l’apartheid existaient toujours aux Etats-Unis
et en Afrique du Sud. Même la guerre en Algérie n’a pas suffi à nous faire
comprendre que les discriminations étaient encore la règle dans ce qui restait
de nos anciennes colonies. Dans cette Algérie française, les Algériens même en
ayant combattu en métropole pendant les deux guerres, n’avaient pas la
nationalité française ; plus qu’injuste c’était grotesque.
Dans l’après-guerre, les Trente Glorieuses ne
furent pas seulement les trente années où la prospérité des pays d’Europe de
l’Ouest et d’Amérique du Nord a été exceptionnelle, ce furent les trente
dernières années de domination des nations occidentales sur le monde. Depuis le
triomphe de l’ultra libéralisme a offert le pouvoir économique aux
multinationales, constituant un autre monde capitaliste, un monde avec ses
propres lois et sur lequel les lois des nations n’ont plus d’emprise, un monde
sans frontières. Dépourvues de capitaux et plus encore endettées pour maintenir
leurs services publics et leurs actions sociales, les nations ont perdu, quand
bien même elles le voudraient encore, toute possibilité de maîtriser leurs
économies et leurs politiques. Alors, n’ayant plus qu’un pouvoir militaire et
policier, elles se réduisent peu à peu à n’être que des machines de guerre
destinées à défendre aveuglement le
capitalisme sur tous les fronts, intérieurs comme extérieurs, car leurs sorts
dépendent totalement de lui. Mais que peuvent des bombes contre des idéologies
telles que l’islamisme sinon provoquer sans cesse de nouveaux massacres et
de nouvelles migrations ? C’est dans ce contexte qu’en Europe les peuples se
tournent de plus en plus vers des démagogues et que le racisme y retrouve
une nouvelle ardeur.
Ce racisme-là n’est plus le racisme conquérant
des colonisateurs. Issu comme le nazisme de peuples qui se croient sur le
déclin et se sentent menacés dans leur « identité », que sera-t-il ce
racisme vengeur s’il se trouve un jour un Hitler moderne ? Pour ce racisme
les responsables de la mort des nations ce sont les hommes politiques qui ont
ouvert les frontières, qui ont laissé entrer les étrangers. La crise économique
c’est de leur faute et de celle des étrangers qu’il faut prendre en charge et
qui nous ruinent. Ces étrangers qui n’ont ni nos mœurs, ni notre religion, et
dont les enfants se livrent à tous les trafics, remplissent nos prisons et
maintenant nous font la guerre pour nous imposer leurs lois. Tel est le présent
vu par ce racisme et il veut tout nettoyer !
Obsédé par son pseudo patriotisme, il veut
rétablir les frontières pour stopper les invasions de migrants, contrôler la
circulation des capitaux et l’échange des produits commerciaux dans le but de sauver
les nations et rétablir leur pouvoir politique et économique. Mais il oublie
que la mondialisation actuelle a commencé dès la Renaissance et que ce furent
nos nations européennes qui en furent les initiateurs. Il oublie que ce sont
nos migrations qui ont permis de peupler les nouveaux continents et d’en faire
de nouvelles sources de richesses en exploitant et pire encore en exterminant
souvent les peuples autochtones. Il oublie que le racisme a apportait la
caution morale sans laquelle l’esclavage et bien d’autres horreurs dont celles
commises par les nazis n’eurent pas été humainement acceptables. Il oublie
encore que les peuples colonisés ont participé aux deux grandes guerres
mondiales et en ont payé le tribut sans en obtenir la moindre reconnaissance,
qu’ils ont contribué à la relance de notre économie après-guerre en fournissant
une main d’œuvre docile et bon marché à nos industries dont en cette période de
chômage massif il rêve de se débarrasser même si entre–temps ces étrangers sont
devenus français ainsi que leurs descendants. Il oublie car l’oubli est sa
méthode.
L ’ennemi majeur de ce racisme c’est
l’Europe. Mais là encore il faut lui rappeler ce qu’était à l’origine le projet
européen. Il s’agissait de rapprocher des nations qui s’étaient entre-tuées
pendant des siècles afin d’éviter de nouvelles guerres. Il fallait aussi
constituer une nouvelle communauté capable de rivaliser avec les grandes
puissances américaine et soviétique dans le contexte de la Guerre froide. Même
si le monde s’est transformé depuis l’après-guerre, je ne vois pas pourquoi il
faudrait remettre en cause les idées de base des fondateurs de l’Europe. Par
contre, il y a bien des questions à se poser sur la manière dont s’est réalisée
cette Europe. Elle a favorisé l’économie ultra-libérale au point de devoir
aujourd’hui se soumettre à ses lois, au point que comme les nations elle en a
perdu tout contrôle de son économie. Ce racisme se trompe d’ennemi. Ce n’est
pas contre l’Europe qu’il doit se battre mais contre une économie dérégulée qui
nous domine. Hors ce n’est pas avec ses idées éculées (comme celles des partis
politiques actuels, il faut le reconnaître), qu’il peut prétendre lutter contre
les excès du libéralisme. D’ailleurs, le problème n’est plus de lutter contre
cette économie mais de la remplacer. Bon nombre de gens en sont déjà convaincus
et tentent de nouvelles voies. Ce sera certainement la préoccupation majeure
des futures générations du monde entier et je ne vois pas non plus en quoi le
racisme peut être utile à cette nouvelle évolution.
Ce trop court résumé historique avait pour but
de montrer comment ce que l’on appelle aujourd’hui le racisme a évolué au cours
des siècles en Europe. Autant que l’on puisse le savoir, il a toujours existé,
il a toujours su s’insérer dans les disputes politiques et religieuses et il y
a souvent triomphé. Sa force a été de s’adapter à toutes les situations et
aujourd’hui encore il s’impose pour beaucoup comme la solution. Mais alors
qu’il se réveille comme une épidémie, n’allons pas hâtivement en conclure qu’il
est une fatalité. Si vous en doutez, rappelez-vous par exemple, le
« J’accuse » d’Emile Zola. Mais surtout regardez autour de vous
comment certains se battent pour que les communautés puissent vivre ensemble,
dans le pays qui est le leur et dans le respect des personnes et des lois. Ne
cherchez pas parmi les élites politiques, intellectuelles ou autres. Certes
dans ces milieux il y a des personnes de bonne volonté mais de par leurs
positions souvent privilégiées ils ne sont pas les plus aptes à affronter un
tel problème. Qu’ils en soient conscients ou pas, ils sont redevables d’une
situation qui leur a permis leur réussite et jamais ils n’auront l’audace de la
remettre en cause. Ils ont aussi reçu une éducation élitiste qui les enferme
dans des idéologies dépassées et les protègent d’une réalité qu’ils
n’appréhendent pas ou mal. Pour un tel combat il faut entendre d’abord ceux qui
ont étaient touchés jusque dans leur chair. Ils sont de toutes les communautés,
musulmane, catholique ou athée ceux qui ont vu leurs enfants se convertir et
partir au jihad. Ils sont aussi de toutes les communautés et parmi eux beaucoup
de Musulmans, ceux qui sont morts dans les attentats. Croyez-vous que cette
terreur qui nous menace toujours ne soit due qu’à une opposition de
communautés religieuses ? Écoutez madame Latifa Ibn Ziaten, femme
musulmane et franco-marocaine qui a perdu son fils Imad, sous-officier de l’armée
française, assassiné à Toulouse par Mohammed Merah le 11 mars 2012. Elle a été
insultée et poursuivie par deux élus qui ont trouvé honteux qu’une femme voilée
puisse entrer à l’Assemblée où elle était invitée à une réunion organisée par
le parti socialiste. De quel côté était la honte ce jour-là ? Ma mémé
aussi portait toujours un foulard pour couvrir ses cheveux et aujourd’hui
encore quand je croise dans la rue une de ces femmes musulmanes, je repense à
elle et je ne peux m’empêcher de me dire que derrière cette apparence pour
certains démodée et outrancière, il peut y avoir une très belle personne. Elle
vous dira combien ces polémiques perpétuelles sur la façon de se vêtir des
musulmanes lui paraissent bien anodines et masquent les vrais problèmes qui
nous déchirent. Qu’elle aussi porte le burkini pour se baigner et que cela lui
donne un sentiment de liberté dont on n’a pas le droit de la priver. Qu’elle ne
cherche à provoquer personne mais à vivre seulement en accord avec sa
conception de la pudeur. Et elle va de lycées en lycées et autres lieux à la
rencontre des enfants de toutes les communautés pour tenter de leur donner les
armes qui leurs permettront plus tard d’éviter le racisme et le terrorisme. Et
comme John Locke et Pierre Bayle en leur temps, elle leur apprend simplement ce
qu’est la tolérance.
Nul ne peut aller contre cet instinct que
j’appelle instinct d’unité et qui nous oblige à vivre en communautés. Il est,
quelles que soient nos origines, dans notre nature et avec d’autres instincts
la constitue. Nul ne peut empêcher quiconque de former des communautés car
c’est là une atteinte à notre nature. Et pourtant notre civilisation va en
toute bonne conscience toujours contre nature. Le racisme par instinct crée ses
propres communautés et non seulement veut les imposer mais refuse l’existence
de toutes les autres. Qu’on puisse encore affirmer aujourd’hui que tout
français doit se reconnaître comme descendant des Gaulois au point d’en renier
ses vraies origines comment est-ce possible ? Que me reste-t-il de sang
gaulois à moi blanc du Sud dont les ancêtres ont pu être Wisigoths, Ibères ou
même Sarrasins ? Allez savoir quoi ? Je n’en sais rien et je m’en
fous. L’histoire a fait que notre pays est un pays multicolore et les blancs
ont été les premiers à y contribuer. Un pays où chacun a le droit de vivre
quelles que soient son histoire et sa culture conformément aux exigences de
notre nature humaine. Alors, sous l’effet de la peur et de préjugés, ou encore
du refus d’affronter une réalité volontairement déformée, au lieu de vous en
tenir à des comportements racistes qui ne rajoutent que des problèmes, cherchez
d’abord en vous ce que vous êtes.
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