La funeste bataille de l’espoir




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La funeste bataille de l’espoir


J'écrivais depuis quelques jours sur la tolérance et puis le 7 janvier, stupeur ! C’est l'attentat à Charlie Hebdo par deux fanatiques. Je savais la menace mais, comme tout le monde, je n'y croyais pas. Et pourtant... ils l'avaient fait et je n'arrivais même pas à m'en convaincre. Encore une fois la réalité a été pire que ce que l'on ose imaginer. Même Bernard Maris... Assassiner ceux-là quel horrible contresens ! Et l'atrocité a continué avec le meurtre de juifs et de policiers. Jusqu'où ira cette absurdité sanguinaire ?
 Puis le 13 novembre. 130 morts…
 Face à cette horreur terroriste il est bien évident que la priorité est de s’en défendre même si nous avons conscience qu’aussi importants que soient les moyens utilisés pour les prévenir, d’autres massacres sont toujours possibles sinon probables. Mais il est aussi nécessaire de réfléchir aux causes de cette situation : pourquoi des jeunes français adhèrent au djihad armé des islamistes et assassinent d’autres français ? Ne serait-ce pas le signe que notre culture a perdu la bataille de l’espoir ? Ma première réaction est de vouloir parler à tous ces jeunes fanatiques potentiels qui un jour choisiront peut-être le massacre d'innocents comme moyen d'expression de leur haine. Cela n’aurait pas d’effets, je le sais, mais peu m’importe.
 Je leur parlerais d'abord de mes vieux souvenirs. Moi aussi comme vous j'ai eu la haine. D'ailleurs elle ne m'a jamais quitté. En 68 j'étais dans les manifs mais pas sur les barricades. Lancer des pavés ce n'était pas dans mes cordes. Je ne supportais pas cette violence. Ce n'était pas par pacifisme. Ça m'avait pris à l'âge de sept ans en Algérie. C'est là-bas que j'ai appris ce qu'était l'atrocité d'une guerre.
 Je leur dirais aussi que je suis athée et que j'en ai marre que l’on se serve des religions pour se donner bonne conscience. Quels sont donc ces dieux qui tolèrent cela ? Comment se peut-il que des dieux permettent l'existence de fous qui tuent en leurs noms ? Des dieux qui créent des paradis pour assassins ?
 Je blasphème ? Mais toutes les idées contre la vie, l'intolérance congénitale en particulier, qui si souvent conduisent les croyants au meurtre de leurs semblables, n'est-ce pas là le vrai blasphème !
 Moi, je n'insulte personne. Je ne menace personne. Je ne tue personne. Je peux dire ce que je pense seulement parce que la loi que des générations d'ancêtres ont contribué à faire, aujourd’hui me le permet. Je n'ai que faire de la liberté qu'elle soit d'expression ou autre, comme de toutes ces idées aussi douteuses que contagieuses qui se muent aisément en incitations au crime. Et si quelques lois ne me conviennent pas, il y a pour les combattre d'autres moyens que des armes de guerre.
 Il est des pays où je risquerais la mort pour ces quelques paroles. Ici, il fut aussi un temps où l'on était menacé et même brûlé sur le bûcher pour avoir exprimé des idées contraires à la religion. Je ne citerai que Galilée, considéré comme le père des sciences modernes et condamné pour avoir soutenu la théorie de Copernic selon laquelle la Terre tournait autour du Soleil, il a du se rétracter. Il a fallu le courage de beaucoup de savants, de philosophes, d'écrivains... pour que soit apprise, générations après générations, la tolérance qui nous est si indispensable aujourd'hui. Ceux de Charlie à leur manière et bien d'autres poursuivent cette tâche car le combat contre les dogmes n'est jamais fini.
 Je suis très humblement de cette lignée. Je traque l'absurdité.
 Plus je vieillis et mieux je comprends en quoi ce monde moderne est une vaste imposture. Mais quand on est vieux il est difficile de vouloir encore se révolter. Ce n'est pas dû à une perte de vitalité, ni à une soumission à la fatalité mais au poids de la conscience. Avec l'âge on en sait trop sur ce qu'on est. On en devient conservateur au point de justifier l'inacceptable. Avec l'âge on se réfugie dans le confort du consensus pour ne plus avoir à lutter contre ses propres contradictions devenues mortifères. Pour s'oublier on se fond dans la culture générale ou l'on s'aligne sur quelques opinions qui nous donnent l'illusion d'être encore dans la lutte.
 Vous, vous êtes la jeunesse avec l'avantage de l'innocence mais aussi l'inconvénient de la naïveté. Même avec des gueules de durs vous êtes encore trop légers pour ne pas être aimantés par des idoles. Méfiez-vous de ceux qui promettent. Tous les gourous et pas seulement les religieux car il y en a dans tous les domaines, en politique ou en économie notamment, sont des maîtres dans l'art de la tentation. Les plus dangereux ne sont pas ceux qui nous trompent. Ceux-là finissent par se démasquer tous seuls. Méfiez-vous le plus de ceux qui se trompent car ils ont un coup imparable: leur sincérité ou autrement dit leur bonne foi religieuse. Il n'y a pas pires ennemis que ceux-là car ils ne doutent pas. Apprenez à croire en vous-mêmes pour ne plus croire en ceux qui vous séduisent avec des paradis, des utopies, des idéaux, des symboles, des principes moraux et autres boniments. Quelle que soit votre condition acceptez la vie, luttez pour elle et n'écoutez pas ceux qui dans tous les camps prétendent la défendre en tuant des innocents. De votre haine faites une alliée de la vie et pour cela cherchez d'abord vos vrais ennemis. Certes c'est là le plus dur des apprentissages mais c'est le seul qui vous permettra de trouver vos meilleures armes.
 Bien sûr je voudrais parler aux jeunes des banlieues prisonniers de leurs ghettos culturels autant que géographiques, y compris ceux qui ne sont pas de la communauté musulmane. Tous ceux qui risquent demain de trouver leur identité dans un espoir criminel. Mais sans oublier que d’autres jeunes se sont eux aussi engagés dans la violence. Sans oublier que Remi Fraisse est mort un jour d’octobre 2014 sur le chantier du barrage de Sirvens dans le Tarn. Car est-ce tout à fait une autre histoire ?




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